P. NERUDA : INCITATION AU NIXONICIDE ET ÉLOGE DE LA RÉVOLUTION CHILIENNE

Publié le par bouhamidi mohamed

Evocation de Pablo Neruda, grâce à un message d'Amyra D :

"Début 1973 parait « Incitation au Nixonicide et éloge de la révolution chilienne », livre de poésie politique par lequel Neruda contribue à la campagne pour les élections législatives de mars.

Le 26 mai, filmé chez lui à Isla Negra, Pablo Neruda appelle à la télévision nationale pour avertir le peuple d’un coup d’Etat : « j’ai le devoir poétique, politique et patriotique d’avertir le Chili entier de ce danger imminent » y déclare-t-il. Il lance aussi un appel aux intellectuels latino-américains et européens pour éviter la guerre civile dans son pays."

P. NERUDA : INCITATION AU NIXONICIDE ET ÉLOGE DE LA RÉVOLUTION CHILIENNE

J'EXPLIQUE CERTAINES CHOSES

Voici un livre jamais écrit il incite les poètes anciens et modernes, morts ou présents, à inscrire au fronton de l'Histoire, un froid et délirant génocide

.Dans le livre se succèdent sommation, jugement et disparition finale possible, sous l'effet de la nombreuse artillerie poétique pour la première fois ici mise en action.

L'Histoire a prouvé que la Poésie pouvait démolir et je m'en remets à elle, sans plus.

Nixon accumule les péchés de tous ceux qui le précédèrent dans la félonie. Il est parvenu à son zénith quand après les accords sur les termes d'un cessez-le-feu, il a ordonné les bombardements les plus cruels, les plus destructeurs et les plus lâches de l'histoire du monde.

Seuls, les poètes sont capables de le plaquer au mur et de le cribler tout entier avec les tercets les plus mortels. Le devoir de la poésie est de le transformer, à force de décharges rythmiques et rimées, en - une loque indescriptible.

Il est intervenu aussi dans le blocus économique prétendant isoler et annihiler la révolution chilienne.

Pour cela, il s'est servi de divers exécutants, quelques-uns démasqués, comme le vénéneux réseau d'espions de l'IT.T. et d'autres, sournois, dissimulés, infiltrés parmi les fascistes de l'opposition chilienne contre le Chili.

Ainsi, le long titre de ce livre correspond-il à l'état actuel du monde, au proche passé, et Dieu merci ! à ce que nous laisserons derrière nous comme spectacle de menace et de douleur.

Je suis un adversaire farouche du terrorisme. Non seulement parce que, presque toujours, il est exercé avec une irresponsable lâcheté et une anonyme cruauté, mais parce que ses conséquences, comme des boomerangs, reviennent blesser un peuple qui en ignorait tout.

Cependant, les circonstances de mon pays, les actes terribles qui ont endeuillé parfois notre Paix politique, ont bouleversé mon âme. Les assassins du général Schneider sont toujours bien vivants dans des prisons dorées ou dans de somptueux hôtels étrangers.

Certains prévaricateurs ont réduit leurs peines à la mesure de celle qui frappe, dans mon pays, le vol d'une poule. On a peine à croire que des gens qu'on appelle juges, puissent manquer à ce point de vergogne:

Cette phrase va faire grimacer, on dira que j'insulte la Magistrature. Eh bien, non ! chaque discipline humaine, et entre toutes, l'acte si délicat de juger me paraît mériter un étrange respect. Mais j'ai pour moi ceci que l'Injustice qui vient des tribunaux, de ceux qui doivent être Justes, est le plus incalculable des équilibres de la raison.

Il y a d'autres entités et d'autres personnes que mon encre verse ici sur la place publique. Je fus attache à certaines par les liens de la connaissance et du respect.

Mais, de retour au Chili je me suis rendu compte que ces personnages avaient transgressé les règles du jeu. Leur froide ambition les a poussés à marcher avec les féodaux et autres voraces ennemis du peuple. Et alors, j'ai mis fin à la connaissance que j'en avais : puisqu'elles ont à ce point manqué de respect envers elles-mêmes, jetant leurs idées aux orties - ces idées qu'elles présentaient comme démocrates et chrétiennes, je ne vois vraiment pas pourquoi un poète les leur restituerait.

Je dois aussi expliquer que ce livre, ainsi que Chanson de Geste, premier livre poétique en espagnol dédié à la Révolution Cubaine n'a ni la préoccupation, ni l'ambition de la délicatesse expressive, ni l'hermétisme nuptial de quelques-uns de mes livres métaphysiques.

Je conserve comme un mécanicien expérimenté mes pouvoirs expérimentaux : je dois être, de temps en temps, un barde d'utilité publique : je dois faire office de garde-frein, de maître-berger, de maître d'œuvre, de laboureur, de gazier, ou de simple bagarreur de régiment capable d'en découdre à coups de poing ou de cracher du feu par les narines.

Et que les esthètes raffinés, s'il en est encore, en crèvent d'indigestion : ces aliments sont des explosifs et du vinaigre à ne pas consommer pour certains. Mais ils seront bons peut-être pour la santé du peuple.

Je n'ai pas d'autre issue contre les ennemis de mon peuple, ma chanson est offensive et dure comme la pierre araucane.

Cette fonction peut être éphémère. Mais je l'assume. Et j'ai recours aux armes les plus anciennes de la poésie, au chant et au pamphlet dont se servirent classiques et romantiques pour détruire l'ennemi.

Et maintenant, prenez garde, je tire

NERUDA

Isla Negra, janvier 1973.

Poèmes (adaptés par Marc DELOUZE)


JE COMMENCE PAR INVOQUER WALT WHITMAN

Par acte d'amour envers mon pays

j'en appelle à toi, frère nécessaire,

vénérable Walt Whitman aux doigts gris,

pour qu'avec ton aide extraordinaire

et vers après vers on extirpe à vie

ce Nixon, le Président sanguinaire.

Il n'y aura pas d'heureux sur la terre,

nul ne s'accomplira sur la planète

tant qu'à Washington il jouira de l'air.

Je demande au Barde qu'il me visite

et j'assume mes devoirs de poète

armé du sonnet aux vers terroristes,

car je dois dicter sans aucun appel

la condamnation qu'on n'a jamais vue :

de fusiller un ardent criminel

qui malgré tous ses exploits dans le ciel,

sur la terre tant et tant de gens tue, que la plume fuit et le papier flanche

à écrire et nommer le nom cruel :

l'exterminateur de la Maison Blanche.

II JE DIS ADIEU AUX AUTRES THÈMES

Amour, adieu, à demain les baisers !

Mon coeur, cramponne-toi à ton devoir

ici je déclare ouvert le procès.

Il s'agit ici d'être ou ne pas être

si nous laissons le truand se mouvoir,

les peuples verront leur douleur perpètre

et perpétré le crime du Président

qui vole le cuivre aux Douanes chiliennes,

étripant au Vietnam les innocents.

On ne peut pas attendre une semaine,

ni même un seul jour de plus car, bon sang !

c'est pour ses atrocités inhumaines

qu'au fouille-merde on fera son affaire.

C'est une fierté pour tout homme pur

qui reçoit le coup de l'information

comme un instrument qui dure si dur,

d'annoncer enfin justice sur terre :

et je t'ai cherché, notre compagnon

pour que s'ouvre le tribunal de sang

et, bien qu'un poète en soit le champion,

le peuple a confié la rose à mes dents

pour qu'avec mes vers et leur vérité

je châtie la haine et le mal puissant

du terrible bourreau commandité

par le concubinage de l'argent

pour incendier jardin et jardinier

dans des pays éloignés et dorés.

III LA CHANSON DU CHATIMENT

Mais ne comptons pas sur son repentir,

n'attendons pas du ciel ce travail-là :

celui, qui sur la terre fait souffrir

doit rencontrer ses juges ici-bas,

pour la justice et pour l'exemple même

Point ne l'anéantirons par vengeance

mais par ce que je chante et que je sème :

ma raison est la paix et l'espérance.

Oui nos amours sont ceux de tout le monde.

Il ne se détruit pas l'insecte avide

mais se love et cloue son venin immonde,

tant qu'avec la chanson insecticide

je ne brandirais pas mon encrier.

J'en appelle aux hommes pour bien rayer

le Chef couvert de sang, couvert de fiel

commanda, par la mer, par le ciel,

que ne vivent plus des peuples entiers,

des peuples d'amour, peuples de sagesse

qui à l'autre bout de notre planète,

au Vietnam lointain, dans les fermes, liés,

aux rizières, à blanches bicyclettes,

érigeaient l'amour avec l'allégresse :

peuples que Nixon, cet analphabète,

ne connaissait pas même de leur nom

et que d'un décret il tue sans pardon :

le lointain chacal tant indifférent.

IV LUI

Criminel je te cite et te soumets

à être jugé par les pauvres gens,

par les morts d'hier et par les brûlés,

par ceux qui déjà sans mot, sans secret,

aveugles et nus, blessés, mutilés,

veulent te juger, Nixon, sans décret.

Poèmes adaptés par Marc DELOUZE

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